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30 septembre 2012

Fred Scamaroni. L'homme et le bateau, deux destins tragiques

D’après l’article de Xavier Maillard et le récit du Blog Curagiu.com

Le FRED SCAMARONI était un transbordeur lancé sur les lignes continent/corse en 1966.
Ses caractéristiques techniques étaient les suivantes :
Longueur : 115 m - Largeur : 17,83 m - Tirant d'eau : 4,92 m
Puissance : 14880 CV - Vitesse : 20 noeuds
Capacité  d’accueil en garages : 140/230 véhicules
Capacité d’accueil en passagers : 1256 (jour : en fauteuils) ou 1120 (nuit : en cabines de 4 lits)
Equipage : 11 officiers et 63 hommes

 

Fred_Scamaroni_2_01

 

Ce navire a été construit par les Ateliers et Chantiers de la Seyne S/Mer (Var) pour le compte de la Compagnie Générale Transatlantique, qui le finance intégralement.

Destiné au transport de passagers et de leurs véhicules, FRED SCAMARONI est également équipé pour accueillir 650 tonnes de fret, en étant équipé de trois chambres froides, de quatre cuves pour liquides totalisant une capacité de 80000 litres, d'un parc pour animaux). Le car-ferry innove par son système de ponts-garages relevables, par ses hélices à pales orientables, ainsi que par son système de ballasts permettant au navire de s'adapter à la hauteur des quais où il accoste, dans les différents ports.

Mis sur cale en juin 1963, FRED SCAMARONI, qui porte le nom d'un résistant corse torturé en 1943 par l'OVRA (police italienne), est lancé à la Seyne le lundi 30 novembre 1964, avant d'être remorqué à Port de Bouc pour finition. La Compagnie Générale Transatlantique prévoit sa mise en service sur les lignes de la Corse pour le dimanche 11 juillet 1965 au départ de Nice. Après ses premiers essais à la mer, le navire rentre aux chantiers de la Seyne par ses propres moyens fin mai 1965. Il y est ravagé par un important incendie, déclaré dans la salle des machines, dans la nuit du samedi 26 au dimanche 27 juin 1965.

La mise en service de la nouvelle unité n'aura lieu que onze mois après le sinistre, période pendant laquelle le car-ferry NAPOLÉON (1960) et le paquebot CYRNOS assurent en partie les traversées prévues sur le FRED SCAMARONI.

FRED SCAMARONI arrive pour la première fois à Marseille le lundi 16 mai 1966. Entré en exploitation le lendemain, mardi 17 mai 1966 entre Marseille et Ajaccio, il effectue sa première escale à Nice le vendredi 27 mai 1966. Il remplace le paquebot CYRNOS, qui quitte la flotte de la Compagnie.

Le jeudi 20 janvier 1967 à Ajaccio, le navire se fait une avarie contre le quai, qui nécessite un léger arrêt des rotations pour réparations. En avril 1967, pendant l'arrêt technique du FRED SCAMARONI, c'est le paquebot COMMANDANT QUERE (désarmé le 04 août 1966) qui se substitue au car-ferry pendant une quinzaine de jours, avant de sortir de la flotte.

Le ferry-transbordeur prend les couleurs de la Compagnie Générale Transméditerranéenne le mardi 1er juillet 1969.

Alors qu'il se rendait de Marseille sur Bastia avec 400 passagers à son bord, le mercredi 22 avril 1970, un incendie se déclara au cours de la traversée. Tandis que l'équipage maitrisait le sinistre, le commandant rentra sur Marseille, par mesure de sécurité. Le navire y sera immobilisé une quinzaine de jours pour réparations.

FRED SCAMARONI est transféré à la Société Nationale Maritime Corse-Méditerranée, héritière de la CGTM, le 16 mars 1976.

Remplacé par le nouveau CYRNOS, FRED SCAMARONI est vendu au Danemark, à la compagnie Olau Line Akts pour près de quatre millions de dollars.
Livré à son nouvel armateur le jeudi 31 janvier 1980 il est renommé NUITS SAINT GEORGES pour le service Ramsgate-Dunkerque, où il entre en service le jeudi 15 mai 1980. La société armatrice ayant été liquidée en septembre de la même année, le navire est désarmé à Vlissingen (Hollande).
Il est acheté en novembre 1981 pour 3,6 millions de florins par la Lord Maritime Entreprise d'Egypte et est rebaptisé LORD SINAI.
En 1982, il effectue des rotations entre Suez et Aquaba. Le ferry prend le nom d'AL TAHRA en 1984.
Il est revendu en 1988 à la Samatour Shipping Company (Egypte) et renommé SALEM EXPRESS pour assurer la desserte de Jeddah et Safaga au départ de Suez.

L'ancien FRED SCAMARONI connaît malheureusement une fin tragique le dimanche 15 décembre 1991. Il heurte par mauvais temps des récifs  près de Safaga et coule sous le nom de SALEM EXPRESS faisant 450 morts sur les 654 pèlerins transportés.

 

Mais qui était l’homme qui avait donné son nom à ce bateau ?

 

Fred-Scamaroni portrait

Un résistant natif d'ajaccio. Un capitaine proche de De Gaulle après l’appel du 18 Juin.
Un militaire qui avait pris pour ambition de libérer la Corse du joug italien mis en place sur l’ile par Adolf Hitler.

Dès 1940 la cruauté régnait sur l’ile et les atrocités se succédaient de la part des occupants à l’encontre des partisans corses. L'Italie avait déployé une police d’inquisition qui semait la terreur : L'OVRA, cette police italienne n'avait rien à envier à la Gestapo.
Pour une erreur, par manque de précaution lors d'une transmission clandestine, le radio du réseau de résistance de Fred Scamaroni se fait arrêter. Il est torturé et parle. Fred Scamaroni avec ses lieutenants seront immédiatement emprisonnés à Ajaccio pour y subir les tortures les plus ignobles.
Les bourreaux de Fred Scamaroni savent à qui ils ont à faire et ils lui réservent un sort cruel ; brutalisé, brûlé au fer rouge, les ongles arrachés, il ne connaît le répit qu'entre deux interrogatoires quand il perd connaissance.

Le rapport italien, communiqué après la Libération, retrace son premier interrogatoire :
Fred Scamaroni dit s'appeler Edmond Severi*, être officier français de la Coloniale, né à Alger en 1908.

Fred Scamaroni ne parlera pas : malgré la torture, il se tait et ne révèle rien sur la résistance.

« Vous ne savez pas ce que c'est que l'honneur », dit-il à l'Italien qui lui promet de lui laisser la vie s'il donne des détails sur la Résistance.
Seul dans sa cellule, il écrit sur le mur:
«Je n'ai pas parlé. Vive de Gaulle ! Vive la France ! Ajaccio, le 19 mars 1943.»

Dans la cellule voisine, il y a un autre détenu du réseau, à travers le mur, Fred Scamaroni lui dit : "Tu diras à ma mère, à mes sœurs, que ce n'est pas très dur de mourir et que je meurs content."

Fred Scamaroni a décidé de se tuer pour ne pas risquer de livrer des secrets pendant de nouvelles séances d'interrogatoire. Il n'avait que 29 ans !

Plus tard, un rapport du contre-espionnage italien témoignera:
« Ils lui ont arraché les ongles, ils lui ont mis des morceaux de fer rouge. Il s'est tué avec un fil de fer. Il a fait passer celui-ci à travers la gorge. Trois heures après, il était mort... »

Fred Scamaroni qui a résisté aux pires souffrances sans livrer aucun secret, il a accompli l'ultime sacrifice, de l'agent de renseignements pris par l'ennemi. Il a fait l'admiration de ses tortionnaires. Le procureur militaire italien prononcera ainsi son éloge funèbre :

« Le tribunal ne peut pas ne pas reconnaître que le délit d'espionnage commis par des militaires et pour aider leur propre patrie en armes est un délit honorable pour celui qui le commet, et tel est le cas du capitaine Fred Scamaroni, lequel s'est suicidé pour une idée, poussant jusqu'au sacrifice de sa vie son sentiment du devoir. »

De son côté, l'évêque d'Ajaccio refuse des obsèques religieuses à « L'inconnu qui s'était suicidé ». Le corps de Fred Scamaroni est donc roulé dans une couverture militaire et jeté à la fosse commune par quatre carabiniers en présence d'un aumônier italien.

En janvier 1944, après la libération de la Corse (septembre-octobre 1943), sa dépouille est exposée à la demande du nouveau maire Eugène Macchini dans la cathédrale d'Ajaccio. Ce dernier l'accueillera dans sa propre chapelle familiale du cimetière de la ville natale de Fred Scamaroni, Ajaccio.

Marie-Claire, la sœur de Fred Scamaroni, résistante et femme politique française, a rédigé sa biographie en 1986 sous le titre Fred Scamaroni. Mort pour la France.

En 1953, on pouvait lire dans le deuxième tome des «Mémoires de Guerre du général de Gaulle» :
« Dès 1941, la France libre avait envoyé dans l'île le capitaine Scamaroni avec mission de préparer l'action. Pendant deux ans, Scamaroni avait fait un excellent travail, réussissant à coiffer tous les éléments de résistance, afin qu'aucun parti, qu'aucun clan, ne pût monopoliser à son profit l'effort de tous. C'est ainsi que le Front national, ayant pour chef politique Giovoni, pour chef militaire Vittori, tous deux communistes, avait pris l'attache du délégué de la France libre, comme l'avaient fait, de leur côté, les patriotes moralement rassemblés autour de Raimondi et des frères Giaccobbi, ou bien les équipes formées par d'anciens militaires, telle celle du lieutenant Alphonse de Peretti. Par malheur, le vaillant délégué était tombé aux mains des Italiens qui avaient occupé l'île au lendemain du débarquement des Alliés en Afrique du Nord. Affreusement torturé, Scamaroni s'était donné la mort pour garder ses secrets. »

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Commentaires
N
Très bel article qui raconte deux destins tragiques. En notre époque où l'honneur et la politique ne font plus bon ménage, il est bon de se remémorer la bravoure sans faille de M. Scamaroni qui paya de sa personne notre liberté à tous.
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